Le Grain du CAD

La revue du Centre Ascaso Durruti

Numéro 2 - décembre 2017

La poussière du jour déjà hier ne doit pas obscurcir le soleil de demain toute une vie.
Benjamin Péret

EMMANUEL EN MARCHE

Emmanuel est en marche. Le 23 septembre dernier, les ordonnances qu’il avait promises au cours de sa campagne pour réformer le droit du travail ont parues au Journal Officiel. Après ça, ses ministres s’attaqueront aux retraites, à la formation professionnelle et à l’assurance chômage. Que fait la Gauche militante ? Comme elle l’avait elle aussi promis, elle s’insurge : elle descend dans la rue pour demander au Gouvernement de faire machine arrière, de remettre l’encadrement étatique du monde laborieux comme il était auparavant. Pourquoi tant de crispations contre une réforme qui est censée apporter remède au chômage de masse ? Parce que le milieu du travail est (re)devenu un milieu à haut risque. Le modèle libéral-productiviste qui est en train de s’imposer dans presque tous les secteurs professionnels révèle désormais toutes ses conséquences humaines. Les cabinets médicaux de nos métropoles sont remplis de "burn-outés" et autres cassés du boulot. Du coup, la population redoute de continuer à travailler sans filets de sécurité. Mais sommes-nous obligés de monter sur le fil ? Sommes-nous forcés de suivre la flûte du Président Macron ?

La croyance en la capacité des politiciens, et donc de l’État, à résoudre nos problèmes relève de la foi religieuse. Qu’est-ce en effet que l’État sinon la projection artificieuse des plus puissants intérêts économiques et idéologiques du moment à la lumière médiatique ?  Demander à un gouvernement quelque chose n’est-ce pas dans une certaine mesure le légitimer ? La France est l’un des pays du monde où la productivité est la plus élevée. Cela veut dire que nous sommes le peuple le plus crédule de la terre. Arrêtons de croire que le secret du bonheur c’est de s’épuiser à la tâche pour gonfler les caisses des supermarchés des puissants.  Être un homme ou une femme libre, ça veut dire savoir dire non, affronter directement ses difficultés et être capable de créer soi-même son propre chemin. Quant au gouvernement, un état à qui l’on demande de tout faire à notre place, de tout administrer et de tout régir, cela ne s’appelle pas autrement qu’un état totalitaire.

Patrick

INTERVIEW
Amado Marcellán
par Odette pour le CAD

« Mai 1937 Barcelone »

Le Centre toulousain de documentation de l’exil espagnol (CTDEE) a consacré, en juillet dernier, un excellent numéro de sa revue, Les Cahiers du CTDEE, aux événements de mai 1937 à  Barcelone. Nous avons rencontré Amado Marcellán, l’un des animateurs de la revue, qui a accepté de nous présenter ce numéro 7 intitulé Mai 1937, Barcelone.

CAD - Pourrais-tu rappeler, tout d’abord, ce qu’est le CTDEE, et quelles sont ses activités ?

Amado Marcellán – Ce centre de documentation sur l’exil espagnol est né, en 2007, comme une suite des rencontres qui se produisaient annuellement à Toulouse, le 19 juillet à partir du milieu des années 40, et cela jusqu’à la fin de la dictature franquiste. En effet, le 19 juillet, les exilés libertaires se réunissaient tous les ans pour commémorer la date de la révolution espagnole avec un meeting, des prises de paroles, des spectacles de musique, de chant ou de théâtre. Si la date du 19 juillet tombait un dimanche, c’était tant mieux, sinon on choisissait le dimanche le plus proche du 19 juillet. Seule la date du 18 juillet était bannie puisque que c’était la date du coup d’état franquiste.

Avec la fin de l’exil, des enfants de militant-e-s libertaires – j’en suis – ont créé ce centre de documentation afin de continuer à  organiser cette commémoration. Ils y ont réuni des archives, des journaux et  des publications militantes liés à l’histoire de l’exil libertaire de leurs parents. C’est ainsi que le CTDEE a aujourd’hui un local situé à côté de la gare Matabiau, non seulement pour fêter le 19 juillet, mais aussi pour développer d’autres projets mémoriels et culturels.

Puis il nous est apparu que ce centre devait aussi être un lieu de création ou de production de textes, d’analyses. Voilà comment sont nés les Cahiers du CTDEE : une revue semestrielle qui essaie d’apporter des témoignages et des regards susceptibles d’éclairer les mémoires de l’exil en référence à l’histoire de la guerre et la révolution espagnoles.

D’une manière générale, nous voulons éviter d’entrer dans une logique mémorielle qui se contente de faire appel à la mémoire affective, en procédant à la victimisation des acteurs de l’histoire. Nous voulons aussi travailler sur les faits historiques, sur l’écriture des événements et réfléchir à la mémoire qu’on en a conservée.

CAD - C’est donc une démarche qui part de la mémoire individuelle et familiale de cette expérience  d’exil des libertaires à Toulouse mais qui développe aussi un travail critique de confrontations de débats sur l’interprétation de cette histoire : c’est cela ? 

A. M. : Oui. En histoire comme toutes choses, il y a des hégémonies. Or ce que nous souhaitons faire au CTDEE, c’est précisément contester ces hégémonies pour montrer qu’il y a eu d’autres regards, d’autres possibles, qui ont perduré dans l’exil et qui gardent une actualité. Autrement dit, nous cherchons à rendre compte des conceptions du monde qui se sont affrontées. On pourrait croire que les conflits de représentations qui ont agité les Espagnols durant les années 30 et les années 40-60 en exil,  font partie du passé. Nous pensons au contraire que les enjeux de ces conflits sont restés actuels et qu’il est important de croiser les regards. Aussi, au-delà de ce premier  groupe toulousain qui était à l’origine du projet, Les Cahiers du CTDEE ont fédéré des personnes soucieuses de dépasser les représentations officielles de l’histoire contemporaine de l’Espagne. 

C’est le cas des membres du ReDHiC, une association qui, en région parisienne, travaille sur ces sujets, et qui a en particulier oeuvré pour le film documentaire Un autre futur, réalisé par Richard Prost.

CAD - Comment avez-vous conçu ce numéro sur les journées de mai 1937 ?

A. M. : Nous avons considéré qu’il était absolument nécessaire de rendre compte de cet événement car Mai 1937 marque une date incontournable de la révolution sociale.

Il nous semble important d’analyser ce moment clé qui est un coup d’arrêt dans ce processus. Nous avons tenté d’éclairer comment s’affrontent : d’une part la voie révolutionnaire qui est celle des libertaires, des « poumistes », de l’aile gauche du parti socialiste et d’autre part, la voie réformiste: celle de la conservation de la République  bourgeoise, dans laquelle sont impliqués les partis républicains, les partis régionalistes – aussi bien basques que catalans –  et le parti communiste espagnol (PCE).

CAD - Pour éclairer la compréhension des  journées de mai 1937, vous avez adopté une perspective diachronique : vous avez fait un travail de montage de témoignages contemporains de l’événement et de témoignages rétrospectifs comme celui de Manuel Cruells. Vous appréhendez ici l’événement à partir de différentes échelles : allant du très local à l’international. Enfin, vous proposez une approche « par le bas », en nous donnant accès à la parole des acteurs et des actrices direct-e-s de ces mouvements sociaux. Comment s’est fait le travail sur ces sources : avez-vous utilisé des archives privées conservées au sein des collections du CTDEE ?

A. M. : Pas seulement, les sources que nous avons utilisées sont dispersées.

Par exemple, en ce qui concerne les écrits de Georges Orwell, nous avons cité des articles et des lettres absolument magnifiques qui ont été reprises par les éditions Ivrea & les éditions de l’Encyclopédie des nuisances  entre 1995 et 2001.

Par ailleurs, nous avons consulté la presse de l’époque.

 L’Humanité entre autres. On peut y lire, au mois de mai 1937 un texte de Gabriel Péri absolument glaçant, puis à l’automne 1938, au moment du procès du POUM, des textes de Georges Soria qui sont à vomir.  Il faut rappeler que le PCE est à ce moment là, complètement isolé. Les républicains se sont retournés contre lui alors qu’il était leur principal allié. Lors du procès du POUM, les plus grandes personnalités du camp républicain vont témoigner en défense de ce dernier : désavouant le PCE.

Nous avons aussi travaillé sur les archives du journal Le Populaire, les articles de Marceau Pivert et Daniel Guérin qui sont en tribunes libres. C’est particulièrement intéressant car à l’époque Marceau Pivert est un personnage d’un poids énorme. L’Humanité essaye de l’écorcher mais on ne peut pas l’attaquer comme on attaque à l’époque les trotskystes ou les prétendus « hitléro-trotskystes ».

Donc nous essayons d’aller aux sources primaires, d’analyser les archives internes aux organisations mais surtout la parole publique des partis politiques qui façonne la construction médiatique de l’événement.

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ON A VOYAGE AU CAD

Tranche de vie 
Des anarchistes à Hong-Kong

Il n’y en a pas un sur cent, mais j’ai rencontré des anarchistes  à Hong- Kong !

Le « Monde Diplomatique » m’a envoyé en reportage à Hong-Kong fin mai – début juin pour faire le point sur la situation politique et sociale à l’orée du 20ème anniversaire de la rétrocession du territoire, ex-colonie britannique, à la République Populaire de Chine (1). J’en ai profité pour revoir mes amis anarchistes avec lesquels je suis en contact depuis près de quarante ans : Lenny et Yuen, Mok étant en tournée théâtrale en Pologne au même moment.

Vendredi 26 mai : Lenny m’accueille à l’aéroport à 17h30 heure locale  - 7 h de décalage horaire avec la France. Il n’a guère changé depuis mon précédent séjour, il y a quinze ans (2), avec ses longs cheveux noirs alors qu’il a maintenant une petite soixantaine, le visage toutefois plus émacié et la silhouette amaigrie par ses ennuis de santé, mais ses yeux pétillent et il est manifestement ravi de me revoir ! Nous empruntons le MTR (3), hybride de métro et de RER, qui nous emmène à vive allure depuis l’île de Lantau où se situe l’aéroport jusqu’à la presqu’île de Kowloon à laquelle elle est maintenant reliée par un pont, descendant à la station Olympics située à l’entrée du quartier populaire et populeux de Mongkok (4). Tout au long du parcours  - dont plus des ¾ sont en aérien – je retrouve cette densité immobilière impressionnante avec des immeubles d’habitation de 30 à 50 étages, presque à touche-touche. Le temps de déposer mes bagages à l’hôtel Rosedale et nous voilà rendus dans un petit boui-boui ouvert non-stop où pour 49 HK$  - le taux de change varie autour de 8.50 pour 1 € -  nous dégustons des travers de porc, la spécialité locale, avec une chope de bière « Tsingtao » bienvenue compte tenu de la moiteur de l’atmosphère. Lenny est content de me détailler le projet de Foire aux livres Internationale Anarchiste, mûri depuis des années avec Mok et Yuen, qui va se tenir à l’automne le week-end des 16, 17 et 18 novembre  mais,  compte tenu de la situation politique de plus en plus pesante avec l’emprise croissante du régime de Pékin, notamment au regard de l’exercice des libertés publiques, l’évènement est intitulé « Black Book Fair », même si l’adresse-courriel de contact est sans équivoque : annarkismo@gmail.com. Le temps passant, il me propose de se revoir plus longuement chez lui lundi soir, et il y aura une surprise ! Lundi soir 29 mai : Je retrouve Lenny à la sortie de la station du MTR de Tuen Mun, cité-dortoir située dans les Nouveaux Territoires, à plus d’une heure de trajet du centre-ville de Hong Kong, et à une demi-heure seulement de la frontière chinoise. La surprise est sur le quai : il s’agit de Lau Sanching, cet ami ex-trotskiste reconverti depuis quelques années dans la démocratie représentative, dont j’avais fait la connaissance lors de mon précédent séjour et aidé à publier en français son témoignage sur ses dix ans de « laogai » (5), purgés à Canton pour son soutien actif aux partisans du « Printemps de Pékin » en 1979-80 après s’être rendu clandestinement en Chine. Le crâne rasé, mais toujours svelte et le regard rieur, il n’a rien perdu de sa volubilité. Lenny dispose avec sa deuxième femme June, musicienne comme lui et comme sa première femme Carrie dont il a divorcé il y a quelque temps, d’une petite maison sur deux niveaux, pour une surface totale de 40 mètres carrés  - taille locale standard vu la cherté des loyers -, encombrés d’un tel bric à brac que nous trouvons refuge sur le toit-terrasse, passant la soirée à écluser des bières, après le plat traditionnel de travers de porc, et à refaire le monde en reprenant la conversation comme si nous nous étions quittés hier ! Toujours le même débat avec Lau : « C’est bien joli l’anarchisme mais nous vivons dans une société  très complexe avec des imbrications internationales qui le sont encore plus ; alors lutter pour un Etat-providence et pour le respect de l’exercice des libertés démocratiques, c’est déjà bien ! » Un ange passe…  

Jeudi 1 juin : J’ai rendez-vous en fin d’après-midi, à Yaumatei Station, au cœur de Mongkok, avec Yuen, alias « Uncle Hung », auteur de nouvelles (6) et conteur professionnel intervenant notamment dans les écoles primaires dans l’esprit de la pédagogie de Francisco Ferrer, jusqu’à ce qu’il prenne  une  retraite anticipée  il y a deux ans à la suite d’un accident cardiaque. Ici c’est le quartier de son enfance car, compte tenu de la  modicité de ses ressources, il a dû déménager et habite désormais à 45 mn de là par le MTR dans les Nouveaux Territoires, mais du côté Est alors que Lenny habite du côté Ouest. Nous retrouvons un groupe de jeunes anars branchés musique, théâtre et cinéma sur Shanghai street, dans un local mis gratuitement par les autorités municipales à la disposition d’ONG et d’associations qui l’occupent à tour de rôle pour y organiser des exhibitions, des conférences-débats et autres projections de films. Comme ils sont en pleine préparation d’un spectacle, nous ne nous attardons pas et nous rendons un peu plus bas sur Tak Nuong Lane dans un garage transformé avec l’appui bienveillant des voisins en buvette-restaurant végétarien à prix libres, dans une ambiance de squatt alternatif où l’on prend le temps de  faire un pas de côté, loin de la frénésie ambiante du « time is money ». Un moment de détente et de convivialité bienvenu.

Lundi 5 juin : Je retrouve Uncle Hung au même endroit en début de soirée, la veille de mon départ. Il s’agit cette fois d’une véritable déambulation à travers le quartier où chaque rue lui rappelle des souvenirs. L’immeuble où il est né  - sa mère a accouché à domicile avec l’aide d’une « matrone » -, les graffitis rappelant les anciennes maisons de passe, les gargotes, toutes ces petites boutiques à touche-touche où l’on vend ‘de tout un peu’, ouvertes jusque très tard dans la nuit, un véritable caravansérail qui vit ses derniers moments face aux appétits grandissants de la  spéculation immobilière. Nous nous rendons enfin au « Cultural Community Center », ancienne usine devenue friche industrielle, squattée deci-delà jusqu’à ce que les autorités municipales reprennent possession des lieux et les réhabilitent sommairement pour les mettre à disposition d’ONG et de diverses associations dans le même esprit que le local de Shanghai street : une once de philanthropie dans un océan de profit ! C’est ainsi qu’environ 50 mètres carrés  - soit une surface plutôt conséquente (7) -  sont occupés par l’association de défense et de soutien des handicapés mentaux et sourd-muets, créée par Mok il y a plus d’une vingtaine d’années, avec pour but le développement de leurs capacités créatrices par le travail manuel, le théâtre et la musique. Il a monté également un atelier de fabrication de costumes de théâtre à partir d’anciens métiers à tisser fonctionnant manuellement et qui avaient été mis au rebut. Certes ce n’est pas la révolution, mais un pas dans la bonne direction et leur complicité attentive fait chaud au cœur ! 

Jean-Jacques

 

Notes :

1. Publié dans l’édition de septembre : « L’étau chinois se  resserre sur Hong-Kong », version papier ; « Le logement, une bombe sociale », version numérique

2. Précédent séjour en juin 2002 avec reportage publié dans le « Monde Diplomatique » d’avril 2003 sous le titre « Hong-Kong dans l’étau chinois »

3. Metropolitan Transportation Railway

4. Quartier urbain le plus dense du monde : 130 000 habitants au km2

5. « Dix ans dans les camps chinois : 1981-1991 », traduction Hervé Denes, préface JJ Gandini, Editions Dagorno-L’Esprit Frappeur  2004

6. « Book of Solo », édition bilingue anglais-chinois 2011 ; contact  sforward@netvigator.com

7. Voir plus haut le § relatif à l’habitation de Lenny

ON SE SOUVIENT

Silence, on tue
Sacco et Vanzetti

Union Square, la grande place de New York, est un lieu historique de la contestation populaire. Cette nuit du 22 août 1927, toute la zone est noire de monde. Une foule cosmopolite veut encore croire à un renversement de situation de dernière minute. Deux braquages ont été commis quelques années plus tôt dans l’État du Massachusetts. Le 24 décembre 1919, des bandits ont tenté sans succès de s’emparer d’un fourgon blindé dans la petite ville de Bridgewater. Quelques mois plus tard, le 15 avril 1920, un caissier qui transportait la paye des ouvriers a été froidement abattu avec son garde du corps dans la cour d’une usine de South Braintree. Pour ces deux crimes, que la police new-yorkaise pense reliés l’un à l’autre, deux hommes, deux italiens connus comme militants anarchistes, ont été arrêtés. Le procès en deux temps qui s’en est suivi a débouché sur deux condamnation à mort: ce 22 août, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti doivent être exécutés à partir de minuit.

Dès l’annonce du verdict, parce qu’elle considérait que le procès s’était déroulé d’une façon inique (le juge avait notamment refusé d’entendre le témoignage de gansters qui avaient revendiqué la seconde attaque) une population ouvrière considérable s’est mobilisée. Manifestations, discours, articles de presse, grèves, se sont succédé avec acharnement à travers tout le pays. Ce 22 août, les places publiques ont été à nouveau envahies. Á Detroit dans le Michigan, 25000 personnes se sont rassemblées sur Cadillac Square. A Cheswick, en Pennsylvanie, les forces de l’ordre ont d’ores et déjà fait des centaines de blessés (et perdu un policier) en utilisant gourdins, lacrymogènes et autres pistolets-mitrailleurs pour essayer de disperser la foule ouvrière.

Hors les États-Unis, les grèves et les manifestations en faveur de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti se sont intensifiées dans le monde entier depuis déjà sept ans. Des bombes de protestation explosent en Amérique du Sud et en Europe. Diego Rivera, H. G. Wells, Marie Curie, Albert Einstein, le dramaturge George Bernard Shaw, le philosophe Bertrand Russell, ou encore le prix Nobel de littérature Romain Rolland clament leur soutien aux deux accusés. Jusqu’à Sa Sainteté le Pape, Staline le despote de l’URSS et Mussolini le dictateur fasciste de l’Italie qui ont fini par prendre eux aussi parti (d’une façon plus feutrée) pour les deux Italiens.

Tous les yeux sont désormais braqués sur Boston, le berceau historique de la Nouvelle-Angleterre et de la Révolution américaine. C’est là que l’issue du drame se joue.

Pendant les sept longues années où ils ont langui en prison, les accusés ont impressionné tout le monde par leur dignité. Ils ont toujours défendu leur innocence sans jamais renier leurs convictions anarchistes. Dès le départ cependant, pour éviter une affaire politique, le pouvoir judiciaire s’était orienté sur un procès criminel. L’opinion bien-pensante hostile aux accusés en a été ravie. Dans la presse, les propos des deux hommes sont systématiquement déformés, caricaturés. On fait des amalgames. On associe le mot "anarchiste" à "poseur de bombes". On n’omet jamais de réciter la litanie des attentats anarchistes commis dans d’autres pays. Du côté de la campagne de défense, on n’a guère su mettre en évidence les traits de la personnalité de Sacco, sur lequel pèsent les plus lourdes présomptions. Il n’a notamment été fait aucune description de ce père de famille pas machiste pour deux sous qui se promenait le dimanche en compagnie de sa femme avec son bébé au bras, de cet ouvrier généreux qui se levait au petit matin afin de cultiver des légumes pour les plus pauvres, de ce travailleur lié à son patron par des rapports de confiance réciproque.

Le récit à propos des idées et des valeurs que défendaient les accusés était encore plus consternant. N’était-ce pas caricatural d’insister sur le revolver qui se trouvait dans la poche de Sacco au moment de son arrestation, et de ne pas dire le moindre mot des documents anarchistes, et surtout des idées qu’ils contenaient, qui étaient avec ? Bien sûr on comprend le souci des avocats et des militants de rechercher les arguments les plus convaincants. Il est clair que le terme "anarchiste" était pour le moins risqué. Á la même époque, pourtant, on n’hésite pas à défendre les Italiens victimes de xénophobie, on décrit ces immigrants sous un jour favorable. Pourquoi n'a-t-on pas fait de même pour les anarchistes ?

Mais toute l’indignation du monde n’y fit rien. Dans la nuit du 22 au 23 août 1927, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti montent sur la chaise électrique.

Ce qu’on a nommé pudiquement « l’affaire » divise encore aujourd’hui. Il ne se passe pas une seule année sans qu’un ouvrage, une pièce de théâtre, un tableau, une chanson ou même un opéra ne rappelle cette tragédie devenue aujourd’hui un mythe. Ce qui est difficile à comprendre c’est la raison pour laquelle toute cette persévérance à entretenir la mémoire de Sacco et Vanzetti a fait fi de la cause dont se réclamait les deux hommes. Comment expliquer ce silence radical sur l’enjeu réel du procés ? Les idées anarchistes ont toujours été rejetées par l’imaginaire national dans la sphère des utopies inacceptables, inconcevables, au mieux rocambolesques. Imaginer qu’un individu puisse penser librement par soi-même, sans religion, ni dogme ni code de loi auquel se référer semble hors de portée de la plupart des esprits ordinaires. Même les protestants qui prétendent ne s’appuyer que sur leur conscience se doivent de l'éclairer grâce aux lumière des livres sacrés. Or la pensée anarchiste n’est pas monolithique. Elle vibre dans un arc-en-ciel de collectifs, de militants et de penseurs où chacun construit ses propres jugements et décide de sa conduite en fonction de son parcours de vie singulier et de sa situation concrète. Ce type de réflexion, et la culture qu’elle engendre, sont impensables pour l’autorité politique suprême qui se réserve le choix de la "meilleure" société dans laquelle nous sommes supposés vivre. Les idées anarchistes doivent donc rester invisibles ou ridicules. Elles relèvent du non-dit et lorsqu’on est contraint d’en parler, on rappelle que la collectivité n’a pas le droit de les penser. Comme l’écrivait le célèbre politologue  E.  E.  Schattschneider « la définition des alternatives est l’instrument suprême du pouvoir[1]. » Quel membre de l’appareil politique contemporain accepterait qu’on dise qu’il existe une alternative au système de l’État et à ses diverses formes de  représentation ? Anarchie du marché, oui. Anarchie sociale, c’est-à-dire ouverture sur l’utopie des autres monde possibles, non. Il faut des Etats pour pouvoir faire la guerre et continuer à gagner de l’argent. Pour combien de temps encore ?

Le 23 août 1977, Michael S. Dukakis, gouverneur du Massachusetts, a déclaré que le procès avait été « marqué par les préjugé » et que la conduite de beaucoup de fonctionnaires « suscitaient des doutes sérieux sur leur impartialité. » Il a proclamé le 23 août journée commémorative de Sacco et Vanzetti. Il a affirmé aussi par ailleurs que le système légal aspire à dominer les forces de l’intolérance. N’était-ce pas une manière détournée de rétablir l’honneur de la Justice et de l’État ? Il n’y a pas eu un mot de sa part sur l’idéal anarchiste des deux condamnés. Rosina, l’épouse de Nicola, refusa ainsi de participer à la cérémonie. Le silence mondial sur les convictions intimes de Nicola Sacco et de Bartolomeo Vanzetti ne les a-t-il pas tués une seconde fois ?

Ronald

[1] E. E.Schattschneider, The Semi-Sovereign People, New York, 1960.

Ce que vous avez (peut-être) raté au CAD

- « Grands-puits et petites victoires » : à l’automne 2010, le gouvernement de Sarkozy veut faire passer en force sa réforme des retraites. La rue se mobilise et ce sont les grévistes de la raffinerie Total de Grands-puits qui vont devenir malgré eux le fer de lance de la protestation. Olivier Azam en a fait un film.  Nous l’avons projeté au CAD et, comme c’était le but, le récit de cette aventure humaine nous a permis à notre à tour de mieux comprendre les stratégies utilisées par l’Etat et le patronat pour parvenir à leur fin dans ce genre de conflit. Cela faisait partie du cycle " Colères du Temps". Nous allons essayer de continuer à faire connaître les combats du monde en 2018. Tenez-vous au courant…

- « Contre les OGM et leur monde » : une série de plusieurs courts métrages pour montrer les dégâts humains et environnementaux engendrés par l’agriculture industrielle. La soirée se tenait au CAD à quelques jours du procès de douze faucheurs d’OGM régionaux inculpés au tribunal de Béziers pour avoir saboté et rendus impropres à la vente un stock de bidons de Roundup dans un magasin de Pézenas. Finalement, l’audience a été reportée au 6 juin 2018. Les trois faucheurs qui ont fait le déplacement au CAD pour expliquer leur cause ont été un peu déçu par le faible nombre de participants à la soirée. Gageons qu’il y aura plus monde autour d’eux pour les soutenir le 6 juin prochain. Là aussi on vous tiendra informés… 

- « Trois ans de gouvernement d’extrême-gauche en Grèce. Quelles leçons ? Quelles perspectives ? » Au moment où le gouvernement français poursuit sa politique anti-sociale, et où la gauche mélanchoniste, en face de celui-ci, se présente comme la seule alternative possible, il nous a paru intéressant de recevoir au CAD des camarades grecs pour qu’ils nous apportent leur témoignage direct sur ce qu’a pu, ou n’a pas pu faire la gauche radicale aux commandes dans leur pays. Ils sont venus et nous avons largement pu débattre, non seulement de la situation grecque, mais aussi et surtout de la question, fondamentale pour les anarchistes, de la prise du pouvoir. C’était le 26 octobre dernier. La Grèce est toujours au régime maigre de Berlin et du FMI.

LE FENESTROU DE L'ANARCO

Daniel Villanova

En guise de trou normand 

Au cours d’un dîner amical à la maison, l’un de mes convives, encarté au Parti Socialiste mais néanmoins cher à mon cœur, lance tout à trac : « Moi, plus j’y pense et plus je suis favorable à un retour au septennat.

̶  Ah bon, s’étonne sa femme, et pour les députés aussi ?

̶  Non, lui rétorque-t-il sans hésiter (on voyait qu’il avait beaucoup réfléchi à la question), pour les députés, cinq ans me semblent bien. »

C’est là que ça m’est sorti du cœur :

« Et bien voyez-vous, me suis-je exclamé, cela va sans doute étonner tout le monde autour de cette table, mais pour une fois je suis d’accord avec un socialiste ! Sept ans pour le Président et cinq pour les députés, moi aussi ça me parait bienvenu… mais fermes, sans aucune remise de peine, pour leur enlever à jamais l’envie de récidiver ! »

www.daniel-villanova.com

ascaso-durruti.info/accueil.htm

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