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Le G rain du CAD

Numéro 7-octobre 2020

La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d'être des hommes. 

Jean Rostand

ÉDITO

Et oui, 7ème numéro déjà ! Les jours passent toujours trop vite quand on veut faire. Dans le numéro précédent, nous vous avions annoncé une nouvelle présentation de notre Grain plus agréable à lire et plus facile à partager. Pour y réfléchir, nous nous sommes retrouvés au début de l’été, le trio aux manettes, à Lasalle dans le village de Toni. La bière cévenole était bonne et les idées ne nous ont pas manqué. Malheureusement, pour diverses raisons, certaines nous incombant et d’autres pas, l’accouchement a été retardé. C'est donc dans la même forme et par le même réseau de distribution que vous retrouverez ce numéro du Grain. Nous vous invitons à en parler autour de vous et à susciter de nouveaux abonnements (toujours gratuits et uniquement sur dépôt d'une adresse mail). Nous l'avons déjà dit mais nous le répétons : le temps long que nous prenons pour rédiger chaque numéro ne fait pas du Grain un journal d'actualité. Nous voulons garder cette distance afin de mieux tirer les enseignements des divers événements qui agitent notre monde. Cela nous permet aussi de ne pas subir le temps institutionnel, nous tenons à notre "inactualité", dirons-nous, pour paraphraser Nietzsche. Pour ce qui concerne ce numéro 7, la plupart des articles ont été écrits il y a plusieurs mois de cela. Certes, le contexte actuel, exceptionnel et oppressant, nous a emmené à aborder la problématique de la Covid. Comment faire autrement ? Mais le décalage entre le moment de la rédaction de nos articles (nous étions à ce moment-là dans la phase 1 de l'épidémie, ou à sa sortie, loin de la situation actuelle) et celui de leur publication fait que de nombreuses questions aujourd'hui évidentes d'un point de vue libertaire n'ont pas été soulevées. Quid du couvre-feu par exemple (et du nouveau confinement sans doute à venir) ? De l'atteinte aux libertés fondamentales (circuler, entreprendre, se réunir) que celui-ci représente ? Celle de l'Hôpital public aussi. À qui appartiennent les services publics, et qui doit décider des budgets qui leur sont alloués ? La situation sanitaire justifie-t-elle l'hyper-interventionnisme de l'État auquel nous assistons désormais ou s'agit-il de la continuation de la dérive hygiéniste et sécuritaire de notre société ? La question du Pouvoir également. Qu'ont dans la tête nos gouvernants ? La Covid les a-t-elle fait basculer, les libéraux qu'ils sont, dans "le care" et la raison sociale ? Ou alors essaient-ils surtout de sauver leur carrière politique ? Est-ce une affaire franco-française et un complot international pour casser le mouvement social, comme semblent le laisser croire les réseaux sociaux, ou une crise sanitaire mondiale qui, pour une fois, apporte une réponse à l'échelle de la planète ? Les "gens" sont-ils des "moutons apeurés" ou des citoyens qui

à leur échelle apportent une contribution collective à la pandémie ? Il y aussi la question philosophique, ô combien délicate , de la morale et de l'altruisme. Jusqu'où dois-je me sacrifier, me priver de ce qui m'anime, pour préserver l'autre (qui d'un point de vue libertaire est censé lui aussi prendre ses responsabilités) ? Et pendant combien de temps ? Un communiste répondra sans doute : "entièrement et toujours". Mais qu'en pense un esprit libertaire ? Un libertaire est-il toujours un individualiste stirnérien ou alors un élément solidaire d'une société multiple ? Le monde libertaire est-il une juxtaposition d'individualités côte-à-côte ou  une société qui possède ses règles, ses organismes de solidarité, ses modes de fonctionnement ? Autant de questionnements que, pour les raisons que nous vous avons indiquées, n'ont pas été abordées dans nos articles, mais sur lesquelles vous pouvez réagir, que nous vous incitons à nous renvoyer. 

Dans ce numéro 7, sinon et ainsi , vous allez pouvoir lire :  

Populisme et anarchisme, pour poser les questions que les diverses contestations depuis l'élection de 2017 à la pandémie ont soulevées.

La savoureuse deuxième partie de l’interview de Ronald Creagh et ses tribulations à travers le monde, par Patrick

Le nouveau livre sur un de nos grands ancêtre : Pierre Kropotkine et l'économie de l'entraide, par Renaud Garcia.

Re-temps de peste, où Patrick compare la Grande Peste avec l'épidémie de Covid à travers les réactions que suscitent ces maladies dans les populations et leurs édiles. 

Une critique littéraire et écologique par Toni Garcia du livre de Jean-Marc Sérépian "Capitalisme fossile", qui ouvre un œil éclairé mais sans désespoir sur le déclin écologique du monde.

L'habituelle revue des activités, forcement restreintes par l'actualité sanitaire, de notre CAD. 

Et on ne se quitterait pas, bien-sûr, sans la réjouissante chronique humoristique de Daniel Villanova.

Voilà, bonne lecture et, comme toujours, n'oubliez pas que nous aimons la polyphonie. Nous comptons sur vous pour en rajouter, penser d'une autre façon ou le dire différemment. Mettez-y vous aussi votre grain de sel !

POPULISME  ET  ANARCHISME

ÉLEMENTS  DE  RÉFLEXION

Nous vivons un moment où dans la mouvance libertaire (ici appelée aussi "Mouvance") se profile un changement profond de paradigme sur la façon de penser la morale et l'éthique libertaire, l'action et les buts de ses actions. Précisons d'abord la notion de mouvance libertaire. Elle regroupe l'ensemble fort disparate des individus, groupes culturels, acteurs sociaux, lieux de créations et de débats qui, non inféodés à une organisation politique, poussent, créent, militent pour une société plus libre, plus égalitaire, plus humainement cohérente, plus respectueuse du bien-être de chacun, moins asservie par l’État, plus auto-gérée. Cette Mouvance aux contours indéfinis et infinis a toujours été, depuis le premier tiers du XXème siècle, plus pléthorique et plus efficace en termes de conquêtes sociétales que les organisations traditionnelles anarchistes.

Ce qui liait cette Mouvance, qui la faisait se reconnaître entre elle, était un fond culturel et moral libertaire, issu du XIXème siècle (liberté individuelle, liberté de création, internationalisme actif, égalité hommes-femmes, refus des discriminations, aspiration à une vie moins indexée sur le travail, importance de la culture…) Si cette mouvance libertaire s'est presque toujours tenue à bonne distance des organisations et partis politiques, elle ne reniait pas son attachement à une « pensée de gauche » façon jauressienne, en tout cas à une adhésion forte à un refus de la droite et encore plus de l'extrême droite, et depuis la fin des années 60 à une même aversion pour tous les partis et systèmes communistes et post-communistes.

Aujourd'hui, les luttes sociales, politiques, écologistes qui agitent notre société, créent des remous dans la mouvance libertaire qui la font tanguer sur sa morale, son éthique, ses réflexes habituels pour l'emmener, en partie, vers la remise en question de notions de base comme la vérité, la science, le refus des coopérer avec l'extrême droite, la prééminence de la pensée libertaire sur la cuisine politicienne...

Les organisations anarchistes des années 1990-2000 avaient reçu un soutien massif de la Mouvance dans le cadre de leurs actions antifascistes (SCALP, Anti-Fa…). Dans l'Histoire Moderne, depuis le soutien à l'Espagne antifranquiste, cette notion d'antifascisme était unanimement partagée par les anarchistes et la Mouvance. Ce plafond de verre, cette muraille de Chine, cette barricade souvent physique ne souffrait aucune discussion. Même en 2002, lors de l'élection présidentielle Chirac vs Le Pen, si la mouvance vota largement, en se bouchant le nez, pour Chirac, les organisations anarchistes ne renvoyèrent pas dos à dos les deux candidats. L'abstention, dans les discours, les pensées, n'était pas égalitaire. Le refus de l'un ne valait pas l'abhorration de l'autre. Dans les caves les fusils étaient astiqués en cas de victoire du fascisme.

Depuis la défaite mal digérée de Mélenchon en 2017, se répand dans la mouvance, venue de l'extrême-gauche, l'idée que la social-démocratie (des socialistes aux partis de droite) est l'égale du fascisme en matière de dictature liberticide. Pire, l'extrême droite (de son parti principal à ses satellites soraliens) est

est créditée de combats communs, aux-vues de ses critiques simples voire simplistes du pouvoir en place. Et dans la Mouvance se précise l'idée d’actions communes, voire en commun, avec des tenants de cette extrême droite. Le mouvement des Gilets Jaunes avec l'acceptation de la présence et du soutien de Chouard, Debout La France, Dupont Aignant, Dieudonné, de Soral, La ligue du Midi, l'UPR de François Asselineau, la présence de militants FN-RN sur les ronds-points... en est un exemple. Signalons quand même que dans certaines villes (comme Montpellier) les anti-FA se sont fait un point d'honneur de les chasser et de les pourchasser, à la grande incompréhension de la Mouvance.

Il est évident que, nous, anarchistes, n'avons pas assez travaillé dans la pensée et l'explication de cette dérive qui risque d'éloigner la Mouvance de la pensée libertaire.

La pandémie en cours a de nouveau mis à mal la cohésion morale et éthique de la Mouvance. Une fois de plus, les discours venus de l'extrême-gauche et de l'extrême-droite, qui considèrent que toute action du gouvernement en place est le pire de ce qui peut être fait, ont emmené, en partie, la Mouvance dans des impasses :  le refus du débat scientifique, une vision centrée sur notre pays ou au contraire l'adhésion à des thèses internationales complotistes.

Dans la presse, sur les réseaux sociaux, dans nos discussions avec nos proches, nous avons pu lire et entendre ad nauseam une négation de l'épidémie qui serait une invention du gouvernement français pour mieux contrôler le Monde, basée sur des discours mensongers, populistes, défiants notre raison « zhéthétique » (ou cartésienne). Ainsi des proches répandant à loisir que les tests PCR détectent les anciens malades guéris, que seuls 6% des décès attribués à la Covid lui sont réellement imputables, que le masque rendrait malade et tuerait ses porteurs... Que dire, que penser en voyant notre Mouvance se parer elle aussi de milliers de nouveaux virologues diplômés es-réseaux-sociaux. Encore une fois la promiscuité avec la mouvance d'extrême droite, complotiste, sectaire dans l'utilisation de la pandémie comme arme de lutte anti-gouvernementale n'a pas généré une réponse, une clarification idéologique de notre part.

Il est à craindre que l'hystérisation qui se prépare en vue de la prochaine élection présidentielle (laquelle, rappelons-le, est une étape primordiale pour tous les partis politiques sauf pour les libertaires) détruise un peu plus cette trame libertaire que nous avions su insuffler dans la Mouvance au profit d'un populisme sans éthique et sans valeurs morales. Jaurès et Louise Michel pourraient bien se retourner dans leurs tombes.

 

JEAN GILBERT IRIU

 

        RONALD CREAGH

ITINÉRAIRE  D'UN MOINEAU (2ème partie) 

Dans notre numéro précédent, nous avons laissé Ronald, au terme du récit de ses pérégrinations, attablé devant sa mousse au chocolat. C’est dans le même restaurant, au Parfums d’Asie, que nous le retrouvons pour qu’il nous raconte cette fois sa trajectoire intellectuelle. À la pétulance de son regard, je devine qu’il est aujourd’hui en pleine forme. Alors j’abandonne là les préliminaires sur sa santé que je m’apprêtais à lui infliger et entre tout de suite dans le vif du sujet : 

« Ronald, tu as dit que tu étais devenu anarchiste sans y penser. Est-ce que cela signifie que tu l’as toujours été sans le savoir ? »

Satisfait de mon entame, je pose la carte du restaurant et enclenche mon enregistreur.  

« Je ne sais pas… au vrai, je ne pense pas que dans ma jeunesse j’étais viscéralement rebelle. Ce qui m’animait, c’était surtout le souci des autres. Mon credo c’était la charité chrétienne. Je plaignais les pauvres, je voulais leur venir en aide, j’étais convaincu que l’Église allait me permettre de le faire… (un temps de réflexion) d’un autre côté, j’avais aussi en moi quelque chose d’intraitable. Je me souviens que mon père, au départ, était contre l’idée du séminaire. Quand il m’avait dit "si je t’empêchais d’y aller ?", je lui avais répondu "j’irais quand même". » Ronald avait probablement aussi un besoin adolescent de s’affirmer par la transgression. C’est parce que le tabac lui avait été interdit jusque-là qu’il s’est mis à fumer après ses vœux (le séminaire expose à d’autres vices qu’à celui de la pensée) jusqu’à trois paquets de cigarettes par jour. « Et en même temps, paradoxalement, j’ai toujours eu beaucoup de souplesse d’esprit. Je n’ai jamais été figé dans mes croyances. De m’être abreuvé pendant des années de lectures cathos de gauche, Le témoignage chrétien, etc., ne m’a pas empêché, un peu plus tard, de remettre ma foi en question.

 ?   Jusqu’à quitter le sacerdoc…

 ?  Ç’a été une décision radicale, très dure surtout par rapport à ma famille. Mes parents ont eu beaucoup de mal à me pardonner mon désengagement. »

On était en 1968, certainement pas une coïncidence. Comme tout homme, Ronald a dû subir lui aussi l’influence de son époque. « J’étais à Paris lorsque tout a commencé… » Puis il a assisté à l’extension du mouvement aux États-Unis et il était à nouveau en France à son dénouement. « J’ai pris la parole une seule fois. C’était à un meeting à l’Odéon. Le thème était de savoir s’il fallait répondre oui ou non au référendum du Général de Gaulle. Je suis monté au balcon et ai proclamé qu’il fallait voter oui. Devant la foule interloquée, j’ai expliqué pourquoi : une société se révolte quand les choses vont mal, ai-je dit. La meilleure façon de continuer à faire descendre les gens dans la rue était qu’elles aillent encore plus mal. C’est pour ça qu’il fallait voter pour que De Gaulle reste. » Ronald comme on allait le connaître, avec une pensée déjà à contre-pied des partis pris et des opinions préconçues. « Aujourd’hui, je ne dirais plus ça. D’abord, je n’ai plus envie d’entraîner quiconque dans quelque révolution que ce soit, je crois qu’il faut laisser les gens être ce qu’ils veulent. Et puis, je ne crois plus non plus qu’une société anarchiste, dans le sens parfait, soit possible. Le monde sera toujours imparfait, parce que toujours en mouvement. Nos vies sont des perpétuelles négociations, négociation avec notre corps, avec nous-mêmes, avec les autres. Nos idéaux ne sont pas destinés à être atteints. L’utopie est l’élément radieux qui nous permet d’inventer ce jeu ininterrompu de la construction des liens sociaux. Je veux dire qu’aucun sujet n’est jamais fixé. Si demain notre système économique devait s’effondrer, le problème du nucléaire n’aurait plus d’objet. » Dans son élan Ronald a déjà traversé le temps. J’essaie de le faire revenir à la chronologie. « Après 68, tu trouves donc ta voie dans la recherche…

?  En changeant d’univers, je me suis aperçu que mes connaissances, celles que j’avais acquises dans les milieux chrétiens de gauche, étaient insuffisantes. Je m’étais en effet trompé sur beaucoup de choses. Sur l’issue de la guerre du Vietnam, par exemple. J’en déduisis que mes idées étaient fausses, où tout au moins que mes bases de réflexions n’étaient pas assez solides. Mes raisonnements étaient trop idéalistes, pas assez fondés sur les faits. J’étais un intellectuel et rien que ça. Il fallait que je redescende sur terre… » C’est ainsi que pour conduire son travail sur les communautés libertaires états-uniennes, Ronald va partir sur le terrain.  « L’utopie m’a toujours beaucoup intéressé. On se représente généralement l’utopie comme une irréalité. Ce qui est un fait, mais seulement à l’instant présent. Autrefois, voler dans l’air était considéré comme utopique, parce que seuls les oiseaux étaient capables de le faire, et puis les aéroplanes ont été inventés. Quand on vous dit que ce que vous voulez faire est impossible, la première chose à répondre est : est-ce que cela le sera toujours ou seulement maintenant ? et la deuxième : avez-vous déjà essayé ? Je crois que l’’utopie, il faut la mettre à l’épreuve du réel.

?  Et les communautés libertaires, du coup ?

?  J’en ai rencontré de toutes sortes. Des fouriéristes, des mutuellistes, des qui prônaient l’amour libre. Ça, c’était un thème qui interpellait. Dans une fête de village, un jour, tous les mecs du pays s’étaient précipités vers les filles de la communauté parce qu’ils s’imaginaient qu’elles allaient leur tomber dans les bras. Tout ce qu’ils obtinrent c’est de leur faire quitter la fête choquées de leur attitude. Pour ce groupe d'anarchistes partisans de l’amour libre cela ne voulait pas dire sexe à tout-va, mais liberté de choix de son amour. Bon, c’est vrai que les hommes, surtout les anars latins, ont eux aussi souvent confondu les choses.

?  Et toi, si je peux me permettre, te considères-tu comme un latin ?

?  Disons que je ne serais pas hostile à la variété, mais la variété crée la jalousie. Et ça complique quand même les choses. » 

La publication de son travail chez Payot, qui était l’éditeur des philosophes de l’école de Francfort très en vogue à l’époque, Adorno, etc., allait procurer à Ronald la notoriété qu’il méritait. « J’avais déjà publié avant ça mon Histoire de l’anarchisme aux États-Unis. Contrairement à mon mentor Paul Avrich, qui considérait qu’il fallait partir du présent, j’avais choisi de commencer par l’étude du passé, en sorte qu’à l’issue de mes mille cinq cents et quelques pages, je n’étais pas arrivé au principal. Mon histoire de l’anarchisme US s’achevait au moment où il démarrait vraiment quand Emma Goldmann débarque à New-York.  

?   Pourquoi t’es-tu intéressé aux États-Unis finalement ? Tes origines n'auraient-elles pas dû te pousser à choisir plutôt comme champ d’investigation l’Égypte ou la Grande-Bretagne ?   

?  Ce qui m'a décidé de faire ma thèse sur la libre pensée, c'est que je suis tombé à la bibliothèque de Sidney, où j’étais venu rendre visite à mes parents qui s’étaient installés là-bas, sur une image de Jefferson devant un autel sur lequel figurait un serpent (Jefferson avait été accusé d’athéisme). C’était tellement différent des représentations habituelles des États-Unis, de celles que j’avais en tête tout au moins, que je me suis dit que j’allais centrer mon travail dessus. Au vrai, j’ai toujours été attiré par les sujets où je ne connais rien. Cela me donne l’impression d’apprendre.  

- Et puis il y a eu Reclus, son voyage aux États-Unis…

- J’achetais à l'époque beaucoup de brochures anarchistes, de celles qu’on trouvait un peu partout à bon marché. Un jour, je tombe sur le texte d’Élisée Reclus où il raconte son voyage en bateau à la Nouvelle-Orléans. Je suis un enfant de la mer. À Port-Saïd, j’avais toujours vécu entouré d’eau. La vérité des descriptions de Reclus m’a tout de suite emporté. J’avais l’impression d’être avec lui. » Ronald envoie aussitôt le récit d'Élisée Reclus à la librairie Publico à Paris, qui éditait à l’époque des revues libertaires. « J’ai pu ainsi par la suite faire redécouvrir Élisée Reclus à un large public à une époque où il avait été rejeté. Depuis, ma passion pour lui n’a jamais décru. »

?C’est aussi grâce à une revue que Ronald va faire la connaissance de ceux qui allaient devenir les fondateurs de notre Centre Ascaso-Durruti. « J’étais abonné à une publication dirigée par un ancien combattant volontaire de la guerre d’Espagne qui s’appelait de son nom de militant Louis Mercier-Vega. Les résumés de ses articles étaient en trois langues, mais son anglais n’était pas extra. Je lui ai écrit pour lui proposer de faire les traductions en anglais. Nous nous sommes rencontrés et c’est lui qui m’a appris qu’il y avait à Montpellier un autre abonné à sa revue : c’était Jean-Jacques Gandini. » Ronald va à partir de là fréquenter ceux qui s’étaient eux-mêmes moqueusement surnommés "les anarcho-éthyliques", parce que la convivialité, et tout ce qui va avec, ne manquait jamais lors de leurs réunions. 

« En vérité, je n’étais pas très présent. Je partais souvent pour mes travaux de recherches aux États-Unis ou ailleurs… et puis j’ai toujours été quelqu’un qui, pour des raisons morales, se méfie des groupes. Dans ce sens, pour revenir à ta première question, je ne me définirais pas vraiment comme anarchiste. Je ne me définis pas d’ailleurs. Mon questionnement est anarchiste, mais j’ai toujours essayé de garder mon autonomie de pensée et d’action. Je n’ai jamais estimé que je devais obéir à des consignes juste parce qu’elles avaient été décidées en commun. Ce qui me séduit le plus dans l’anarchisme ? Je dirais son côté émancipateur. Et puis c’est aussi un des rares milieux, sinon le seul, où on peut discuter intellectuellement avec tout le monde. Ça, ç’a toujours été primordial pour moi… mais me plier, non. » L’État n’est pas non plus la tasse de thé de Ronald. « Je suis contre, pour des raisons morale. Le droit, comme la démocratie, sont des fumisteries. L’État peut commettre tous les crimes qu’il veut, il n’est jamais sanctionné. Il ne faut pas oublier, par exemple, que ce sont les militaires français qui ont enseigné la torture en Amérique du Sud. Il y a là une grande responsabilité morale. La légitimité de l’État relève de l’imaginaire collectif, qui est comme une grande toile d’araignée où les gens sont aveuglément collés. Moi, j’essaie d’en sortir. » Je vais jouer les provocateurs.  « Mais sans l’État, tu ne penses pas que ça serait le chaos ?

?   Je le préfère à la monotonie. Toute société crée dans son arrière-plan un chaos au sein duquel il se passe des choses intéressantes, des choses différentes. Le chaos, parce qu’il engendre de la complexité, ouvre des possibilités. Si les dinosaures n’avaient pas disparu, les humains n’auraient pas existé. Le chaos est souvent propice au progrès… un progrès qui reste cependant toujours relatif. Tout progrès comporte aussi immanquablement des régressions. L’invention de l’automobile est certes une bonne chose, mais avec les voitures, on ne marche plus… Pour en revenir à l’État, de la même manière que je m’y oppose, je suis aussi contre la propriété privée. Mais pour la possession, comme Proudhon. Que la société me laisse l’usage de ce dont j’ai besoin pour mon travail. J’aimerais, par exemple, vivre dans un endroit où l’on changerait régulièrement de logement. J’ai entendu parler d’une région de Suède où, parce qu’il y a des terres meilleures que d’autres, les paysans en changent tous les ans. L’évolution de notre monde, le travail dispersé, l’éclatement des familles, etc., va forcément nous obliger à nous réinventer en mettant à profit le chaos. C’est un sujet auquel je réfléchi beaucoup en ce moment. » La singularité de Ronald encore une fois. Il a commencé sa carrière en ne jurant que par le passé, et plus il avance dans l'âge, plus il regarde vers le futur. « C’est vrai, le passéisme est un travers fréquent des anarchistes français dans lequel je ne veux pas tomber. Certains vivent encore XIXème siècle. Il y a des combats qui étaient beaux et appropriés à une époque, mais qui sont devenus obsolètes aujourd’hui. La question de la révolution, par exemple, pour y revenir. Vu la puissance qu’a désormais atteint l’État, aucune révolution ne ferait un pli de nos jours. Elle serait immédiatement réprimée d’une façon catastrophique. Il est plus intéressant, à mon avis, d’agir dans les failles du système pour essayer de le faire tomber de lui-même. Dans le livre sur lequel je suis en train de travailler en ce moment, j’essaie de répertorier les changements cruciaux qui se sont produits dans nos sociétés au cours de ces vingt dernières années : dans la vie quotidienne, le travail, les rapports interpersonnels, les manières de penser, la technologie… et de voir ce qu’on pourrait faire pour en anticiper les conséquences. Je ne retrouve pas le nom auquel j'ai pensé pour les gens qui s’occuperaient de ça… "des groupes de veille", ça me revient. Des personnes compétentes qui se réuniraient régulièrement pour prévoir ensemble l’avenir. Je crois que les anarchistes auraient leur rôle à jouer dans ces groupes, mais pour cela ils doivent sortir de l’autisme qui trop souvent les caractérise, ils doivent apprendre à parler avec les autres. L’anarchisme ne doit pas être une burka intellectuelle.

?  Tu serais assez optimiste au fond ?

?  Non, détrompe-toi, je ne vois nullement l’avenir en rose. Mais j’essaie de transformer mon pessimisme en opportunités. Quand je regarde ma vie, je constate qu’à chaque fois qu’il m’est arrivé un malheur, cela m’a ouvert de nouvelles possibilités. C’est parce que j’ai eu un grave accident de voiture que, grâce à l’argent de l’assurance, j’ai pu passer mon bac par correspondance (Ronald a quitté l’école à 16 ans pour travailler, il est parti au séminaire à 18 ans) et reprendre mes études… mais ce qui m’intéresse le plus, en réalité, c’est le présent. La chose la plus importante pour moi, ainsi, en ce moment, c’est toi. Parce que je partage ce repas avec toi, j’ai envie que tu sois content de m’écouter. » Je lui confirme que c’est bien le cas. Et à partir de là, comme cela fait déjà plus d’une heure que je le tiens avec mes questions, je vais laisser son esprit voler où cela lui plait. Ronald me parlera encore de l’évolution de l’université, de la pan-bureaucratie numérique, de la fin du néo-libéralisme, des dictatures nationalistes prêtes à prendre le pouvoir, des mégapoles, du cimetière qu’est devenue la méditerranée, des microclimats sociologiques (qu’on ne sait pas davantage voir que les microclimats météorologiques), des lanceurs d’alertes… d’un tas d’autres sujets dont on pourrait faire un livre de chacun. Mais comme ce n’est pas là notre ambition (ses livres, Ronald les écrit lui-même), nous allons terminer ici notre reportage pour savourer tranquillement nos desserts chocolatés. Chaque fois que je passe un moment avec lui, Ronald me réconcilie toujours avec l’Humanité. « Quand j'étais enfant, me racontait-il lors de notre interview précédente, je contemplais la nuit le ciel étoilé et je croyais que le chant des grillons était celui des étoiles. »  Aujourd’hui, c’est toi, Ronald, qui nous fait entendre le chant des étoiles.  Tu es pour nous un modèle pour vivre, comme tu t’efforces de le faire, « en harmonie non seulement avec les hommes, mais aussi avec le cosmos ».

 

 

PATRICK  FORNOS

 

ON DECOUVRE, ON SE RAPPELLE

UNE FIGURE DE L'ANARCHISME : PIERRE  KROPOTKINE  1842-1921

Kropotkine, c’est d’abord une vie rocambolesque : fils d’aristocrates russes, page personnel du tsar Alexandre II, il choisit contre les attentes familiales de s’engager pour un régiment de cosaques sibériens, puis devient anarchiste en 1872, au contact des ouvriers horlogers du Jura suisse, membres de la branche antiautoritaire de l’Internationale. Impliqué dans la vague du populisme russe (l’ « aller au peuple » des narodniki), deux fois emprisonné, exilé en Angleterre, référence incontournable du mouvement anarchiste international jusqu’au soutien qu’il apporte aux Alliés en 1914, acte qui lui  aliène une grande partie des anarchistes. Son œuvre, héritière de l’esprit encyclopédique des Lumières, composée de traités, de recueils d’articles scientifiques et d’un très grand nombre de brochures et de pamphlets, touche à de multiples domaines : géographie (sa spécialité scientifique), biologie, sociologie, histoire, anthropologie, philosophie, études littéraires. Rien de ce qui est humain ou naturel n’est étranger à notre auteur, pour qui l’homme a pour vocation de devenir la nature prenant conscience d’elle-même.

On accole à l’homme une idée : l’entraide. Dans une société fondée sur la compétition et le culte de la performance, il est toujours bien intentionné d’exhorter à l’aide mutuelle. Mais quand il publie en 1902 L’Entraide. Un facteur de l’évolution, Kropotkine veut dire autre chose. Les adversaires sont de taille. Ceux qu’on appelle les darwinistes sociaux s’appuient sur la philosophie naturelle la plus influente de la fin du XIXe siècle, l’évolutionnisme, pour appliquer la sélection naturelle à la société industrielle. Malheur aux inadaptés ! Pauvres, handicapés, peuples colonisés, oisifs, socialistes seraient les victimes naturelles d’un processus au terme duquel seuls les mieux dotés perpétueront l’espèce et amélioreront son type moyen.

Ces gens-là ont lu Darwin, dont l’œuvre, il faut bien le reconnaître, se prête à de telles utilisations. Kropotkine aussi a lu Darwin, comme tous les intellectuels russes qui, dans les années 1860, s’imprègnent de la science occidentale. Mais, à ses yeux, la « lutte pour la vie » prend un sens plus large. Non pas simplement la lutte entre les espèces dans un milieu concurrentiel mais plutôt la réponse adaptée des organismes au défi posé par leur milieu vital. Le savant russe a effectué ses observations naturalistes en Sibérie, dans un milieu hostile et faiblement peuplé, là où Darwin avait procédé à des observations dans un milieu tropical très densément peuplé. Songez à ces meutes d’animaux dans les conditions de très grand froid : comment pourraient-ils assurer leurs chances de survie sans pratiquer l’entraide ? Le terrain, l’entourage, la géographie, déterminent chez Kropotkine une vision de la nature bien différente de celle qui a cours à l’époque. Le vivant et l’animal historique qu’est l’humain ne sont pas des machines adaptatives, conditionnées intégralement par leur « plasma germinatif » (pour utiliser les termes de l’époque), par leurs gènes. Ce sont des êtres ouverts, dotés d’une capacité de configurer un milieu vital, et qui subissent l’influence de ce dernier.

 Aujourd’hui comme hier, l’eugénisme, ce rejeton du darwinisme social, cherche à se prémunir des influences imprévisibles du milieu en mécanisant le vivant. Folie, idéologie scientifique au service d’un projet politique totalitaire. Kropotkine fut quasiment le seul à le dire, en 1912 à Londres, lors d’un congrès international sur l’eugénisme : « avant d’accorder à la société le droit de stériliser les personnes malades, les simples d’esprit, ceux qui ne réussissent pas dans la vie, les épileptiques (soit dit en passant, l’écrivain russe que vous admirez tant en ce moment, Dostoïevski, était épileptique), n’est-ce pas notre devoir sacré d’étudier avec attention les racines sociales et les causes de ces maladies ? »

Confronté au darwinisme social chez les industriels et dans les milieux scientifiques du début du XXe siècle (la génétique naissante), Kropotkine reste une voix singulière. Sur un autre front, aussi. En effet,  sa vision de l’histoire, de l’économie et du progrès social, bien que tributaire sur certains points de préjugés scientistes, se tient à l’écart du marxisme-léninisme. L’Entraide n’évoque pas seulement les conditions d’adaptation des animaux mais aussi celles des groupes humains, depuis les peuplades 

primitives jusqu’aux associations ouvrières, en passant par les communes villageoises et les guildes médiévales. Ce traité est une histoire naturelle des traditions d’entraide. Une histoire jamais linéaire, comme si elle devait suivre des étapes censées mener infailliblement vers le royaume de la liberté. Pour Kropotkine, il n’est pas nécessaire d’en passer par l’État capitaliste pour arriver au communisme, pas plus qu’il ne faut reléguer les communautés paysannes et leur économie locale au rang de survivances archaïques. L’attente du moment où la production industrielle sera assez développée pour que le peuple en récolte les fruits n’est qu’une manipulation de l’histoire orchestrée par un parti d’intellectuels et de cadres. L’anarchiste ne se privera pas de le dire à Lénine en 1920 : «... la Russie n'a de république soviétique que le nom. L'influence et la domination du peuple par le Parti, c'est-à-dire, préférentiellement, les nouveaux venus (les idéologues communistes se trouvent davantage dans les centres urbains), a déjà détruit l'influence et l'énergie constructive de cette prometteuse institution - les soviets. A` présent, ce sont les comités de Parti, et non les soviets, qui ont le pouvoir en Russie. Et leur organisation souffre des défauts de l'organisation bureaucratique » (Lettre du 4 mars 1920).

Prise entre deux feux, le darwinisme social et la technocratie communiste naissante – la sélection artificielle  au service du capitalisme industriel et l’écrasement des ouvriers et des paysans par la roue de l’histoire, il n’est pas étonnant que l’œuvre de Kropotkine, y compris chez les anarchistes, ait subi une assez longue éclipse. Sans surprise, elle fut étudiée entretemps par des francs-tireurs. A` son époque William Morris, bien plus critique que son ami russe sur les potentialités émancipatrices de la machine, puis Gustav Landauer, définitivement hostile à toute trace de positivisme (la religion des « faits » et de la science). Un peu plus tard, le géographe et penseur de la ville Patrick Geddes (1854-1932) et son disciple Lewis Mumford (1895-1990).

Qu’en ont-ils retenu ? D’abord l’idée que l’économie n’est pas une science de la production dans un contexte de rareté. Enracinée dans la nature elle-même, elle implique une « physiologie de la société » : avant de produire quoi que ce soit, étudier ce dont on a besoin collectivement (La conquête du pain). Ensuite l’idée que la technique, dont le développement industriel reste encouragé par Kropotkine, ne peut plus être soumise à la seule finalité du profit ni subordonnée à des impératifs de production gigantesques. Il faut l’utiliser à hauteur d’homme : des petites fabriques dans des villages, un petit moteur pour les métiers domestiques ou des ateliers mécaniques à la campagne (Champs, usines, ateliers). Enfin l’idéal social, culturel et économique d’une société désurbanisée, fondée sur le travail intégré. Pour que chaque individu soit producteur à la fois de travail intellectuel et de travail manuel, et que tout groupement d’individus (à l’échelle d’une région par exemple) produise et consomme lui-même la plus grande partie de ses produits agricoles et manufacturés, il faut une éducation intégrale restaurant les humanités et l’aptitude à faire avec ses mains.

L’héritage le plus fécond de Kropotkine, c’est celui-là. Avis aux héritiers industrialistes de Lénine, modernistes acharnés, écraseurs des inadaptés. Celui que le chef bolchévik appelait une « vieille baderne » est loin d’avoir dit son dernier mot.

 

RENAUD  GARCIA

 

"Pierre Kropotkine & l'économie par l'entraide", Renaud Garcia, Le passager clandestin, 2014

NOTRE  ÉPOQUE

RE -TEMPS  DE  PESTE

Dans sa Psychologie des foules, Gustave Le Bon soutient que le comportement des êtres humains en groupe est beaucoup plus souvent guidé par leur moelle épinière que par leur cerveau. Même si le bonhomme n’emporte pas toute notre adhésion (Le Bon pensait aussi qu’il ne fallait pas éduquer les masses car on risquait de produire des anarchistes) la période que nous sommes en train de vivre nous oblige à accorder quelque crédit à ses théories. Si ce crasse virus qui nous est tombé dessus a, heureusement, trouvé sur son chemin nombre d’individus capables de l’affronter d’une façon lucide et responsable, force est de constater que d’un point de vue sociétal, collectivement parlant, nous n’avons pas brillé par notre sang froid. Comment avons-nous perdu les pédales à ce point ? Comment en sommes-nous venus à ce que ce délire médico-médiatique initié autour d’un malheureux pangolin se propage, encore plus vite que l’épidémie microbienne, à toute la planète ?

« Quand il lui arrive des choses qu’il ne comprend pas, disait Lacan, l’homme a peur. Il ne supporte pas de ne pas comprendre et petit à petit il entre dans un état de névrose. » Rien n’est plus tortueux que la peur. Nous avons tous, enfouies au fond de nous, nos peurs personnelles issues de nos histoires particulières à chacun. Cette mise sous le boisseau de nos démons nous permet de vivre relativement tranquillement… jusqu’à ce qu’un nouvel aléa apparaisse à l’horizon. Nos angoisses s’empressent alors de se ranimer pour prendre cette nouvelle menace comme objet. La technologie conditionne nos modes de vie. Nos outils de communications actuels, nos smartphones hyperperformants, nos réseaux sociaux ultra-connectés, etc., font de nous immédiatement des groupes. La somme des peurs individuelles fait la peur collective et la peur collective, quand on n’en comprend pas les mécanismes, fait le délire général. Qu’est-ce que nous n’avons-pas compris au cours de cette épidémie de covid ? Avant tout, je pense, qu’elle survienne. Nous vivons une époque où le hasard, qui est pourtant la loi naturelle de l’évolution, n’a plus droit de cité. Dans nos espaces de vie savamment ordonnés, rien que nous n’ayons prévu, rien qui dépasse nos capacités de contrôle, n’est censé se produire. Nous avons relégué aux oubliettes de notre mémoire collective l’incertitude essentielle de notre condition humaine. Puisque c’est nous qui avons domestiqué le feu, c’est à nous qu’il en revient, et à personne d’autre, à jamais l’usage. L’ennui, c’est que les trillions de trillions de micro-organismes qui cohabitent avec nous sur cette terre ne l’entendent pas de la même oreille. Les bestioles n’ont ni d’yeux pour lire nos règlements ni l’esprit de soumission nécessaire pour y obtempérer. Quand cela leur pique (au gré des hasards des mutations de leur génome, pour le dire plus savamment) ils sortent de leur quiescence et sèment le branle-bas dans tous les équilibres qui se trouvent sur leur passage. Cette explication "raisonnable" a certainement dû parler à nombre d’entre nous dans un premier temps. Mais très rapidement, presque instantanément, nos bons vieux réflexes de protection psychique se sont rétablis. Une chose est arrivée qui ne devait pas se produire ! Haro sur le coupable qui avait la responsabilité de l’empêcher ! Les points d’exclamation, c’est la colère, le troisième ingrédient de la mayonnaise, qui vient d’entrer en scène. 

La peur et la colère, disait Michel Foucault, ne vont jamais l’une sans l’autre, le poison et l’antidote forment un couple inséparable. C’est comme si la colère, en

renvoyant une seconde dose d’adrénaline dans notre système nerveux, nous permettait de dépasser notre peur. Dans cette optique, pour retendre leur ressort, nos ancêtres levaient autrefois le poing vers le ciel en direction du Bon Dieu. Celui dont on attend tous les bienfaits, à présent, et qu’on vilipende pour tout le mal qu’il nous fait en ne nous les donnant pas, c’est l’État. Que n’a-t-on pas entendu au cours de cette épidémie de covid. Nous sommes toujours les mêmes. Dans son livre intitulé La peur en Occident, Jean Delumeau décrit (entre autres) les comportements des populations lors des grandes épidémies de peste. Tout ce que nous avons vécu, et continuons à vivre, se produisait déjà en ces temps-là. D’abord le déni du danger. Pour ne pas prendre les mesures qui s’imposaient, ne pas paralyser l’économie, ne pas affoler, etc., on s’efforçait de ne pas voir ce qui se préparait. On se rassurait soi-même en rassurant les autres. Quand une expertise se montrait alarmante, les autorités s’empressaient de nommer d’autres spécialistes qui effectuaient des contre-expertises qui permettaient de dissiper l’inquiétude. Les accusations délirantes ne manquaient pas non plus. À Lille en 1832, ainsi, le choléra (qui n’est pas la peste mais cela revient au même) était soi-disant « une invention de la police ». Puis arrivait le moment où l'on ne pouvait plus se mentir. Il fallait appeler l’épidémie par son vrai nom. Les populations étaient alors prises de panique. La fuite, « une paire de bottes », était considérée par ceux qui en avaient les moyens comme le remède le plus efficace. Les riches quittaient les villes pour se réfugier dans les villages, lesquels villages leur fermaient leurs portes pour se préserver de l’épidémie. Les populations étaient mises en quarantaine, placées sous la surveillance désormais intraitable des pouvoirs publics, lesquels, pour rattraper leur laxisme initial, en faisaient à partir de là des tonnes. Les mêmes interprétations complotistes que nous connaissons aujourd’hui, ou presque, se répandaient dans les chaumières : ici, la maladie avait volontairement été provoquée par l’aristocratie avec l’aide des brigands et des puissances étrangères, là, on dressait des listes de coupables à clouer au pilori : les Turcs, les Juifs, les hérétiques, les femmes (les sorcières), tous les boucs émissaires à l’usage des négateurs du réel depuis que le monde est monde. Puis venait l’heure, là aussi comme pour nous, des faiseurs de miracles. Tandis que les fomenteurs des supposés complots demeuraient dans l’ombre, les hommes providentiels arrivaient quant à eux à la lumière. Et leurs partisans de vouer aux gémonies les pouvoirs constitués qui les empêchaient d’utiliser leurs panacées pour les sauver. Le monde n’a pas changé, non. Aujourd’hui comme autrefois, même si on n’est pas anarchiste, il y a des montagnes de bonnes raisons d’en vouloir à ceux qui nous gouvernent, de combattre l’État et les patronages dont celui-ci dépend. Pourquoi faut-il que nous allions chercher les mauvaises ? Ne serions-nous finalement que des insectes ? D’aucuns diront que la colère a toujours été un ingrédient indispensable aux révolutions. Dans ce cas, si nous continuons à la confondre avec la conscience, ne nous étonnons pas si les révolutions continuent à être le tombeau de nos illusions.        

 

PATRICK  FORNOS

 

ON  A  LU

Jean-Marc Sérékian

CAPITALISME FOSSILE 

De la farce de COP à l'ingéniérie du climat

 La littérature critique sur ce qui concerne la dégradation écologique et environnementale est très abondante. Néanmoins, une bonne partie de tout qui est publié va rarement au-delà de la supplique aux institutions, du catastrophisme rituel ou, encore pire, du whisful thinking destiné à rassurer les bons citoyens.

Le livre qui nous occupe échappe à ces tendances sans pour autant faire de concessions à la philanthropie d’État.

Dès les premières pages, l'auteur prend ses distances par rapport à une certaine collapsologie, ou idéologie de l’effondrement, au goût de jour et insiste sur la nécessité de remonter quelques décennies en arrière pour mieux comprendre le caractère trompeur de l'engagement écologique des nations industrielles modernes. Comme il le signale ironiquement : « La prise de conscience des dévastations des écosystèmes date des années 1960, cela fait longtemps que la communauté des élites prédatrices organise de solennelles messes de requiem en l'honneur des victimes humaines et écosystémiques du capitalisme de notre temps ».

Dans les pages qui suivent, Sérékian prend la peine de démonter les termes à la mode comme anthropocène, en signalant que, une fois accepté l’impact indéniable de la civilisation humaine sur l’environnement, sur la Terre, encore faut-il discerner la vraie responsabilité du désastre, au-delà de la caractérisation d'une humanité indifférenciée prête à assoler la planète.

En effet, le livre nous dévoile comment l’alliance entre capitalisme et emploi massif des combustibles fossiles, promue par l’impérialisme états-unien dans l’après-guerre, est le facteur crucial qui nous a conduit à la situation actuelle. L'auteur essaie de radiographier la nature prédatrice du capitalisme, son essence criminelle et sa capacité à créer des situations de désastre là où ses stratégies peuvent le mieux prospérer.

Les sommets internationaux sur la question climatique deviennent une farce que les pouvoirs organisent autant pour rassurer l'opinion publique que pour établir un domaine médiatique et scientifique où les stratégies de la géo-ingénierie puissent être légitimées.

Malgré tous les rapports scientifiques, de plus en plus clairs pour ce qui concerne les causes du réchauffement climatique, les COP (conférences sur le climat) continuent à se produire d'une manière mécanique, dans une ambiance générale de scepticisme, au grand scandale de certains et dans l’indifférence de la majorité. La fameuse « transition énergétique » devient une chimère, et si d'un côté on nous parle d'une économie « dé-carbonisée », les politiques d'extraction des combustibles fossiles augmentent d'intensité. Comme le dit l'auteur : « L’État providence de capitalisme fossile [sic] donne de la matraque pour servir sur un plateau l'extension d'une immense mine à ciel ouvert au géant RWE… L'écocide pour la mine, c'est toute l'histoire du capitalisme fossile. Pour perpétuer sa course industrielle, la vieille Europe régresse vers le charbon...»

Sérékian consacre deux longs chapitres à « l'esprit du capitalisme », il glose les connivences du grand capital avec les douteuses politiques nationales, les lobbies financiers, les dictatures du « tiers monde », l’impérialisme… Il est appréciable qu’il n’épargne pas ses critiques à la politique colonialiste de la France dans beaucoup de pays d’Afrique, en signalant comment derrière autant de soi-disant conflits inter-ethniques et guerres d'extermination se cachent les intérêts énergétiques inavouables des grandes nations civilisés…

Le livre montre comment à partir des années 2005-2006, dans un moment de grande alerte climatique et de propagande bien-pensante, s'est produit une « transition » massive vers les combustibles fossiles non conventionnels (le gaz de schiste, par exemple). Avec l'exploitation de ces combustibles, la société industrielle a fait un nouveau pas vers la conquête de la planète, un pas fatal, suicidaire, accompagné par une nouvelle phase d’aménagement des territoires et de ses populations, une guerre, au bout du compte, contre les derniers vestiges d'une économie paysanne et solidaire.

Dans les dernières pages, l'auteur nous prévient : « Avec cet éclairage de l'esprit du capitalisme à l'âge de sa toute-puissance et des œuvres dans lesquelles il excelle par l'usage massif des énergies fossiles, il devient illusoire de penser qu'il puisse s'amender et ralentir son rythme de conversion énergétique pour laisser quelque répit à la biosphère » .  

Ce constat lucide n’empêche pas Sérékian de rappeler à la fin de son livre que malgré toutes ces sombres perspectives cela sera toujours mieux d'affronter les transformations en cours avec le diagnostic le plus exact possible des racines du désastre.

 

 

TONI GARCIA

Capitalisme fossile, Jean-Marc Sérékian, Éditions Utopia, 2019, 264 p, 10 euros 

ON A PUBLIÉ AU CAD

TROISIÈME ROMAN DE PATRICK FORNOS NOTRE CAMARADE ET CO-RÉDACTEUR DU GRAIN

En attendant qu'on en parle nous-mêmes, l'article de Gérard Mayen pour Le Poing

Dans L’eau des deux rivières – Àngel, Patrick Fornos orchestre l’éveil magnifique des consciences révolutionnaires dans une petite cité ouvrière de la Catalogne des années 30.

La Guerre civile espagnole. En général on connaît. On situe. Le Languedoc particulièrement, garde des traces vivantes du terrible exode des Républicains en janvier 1939. Cette mémoire, pour lui directement familiale, le Montpelliérain Patrick Fornos l’entretient. Il est d’ailleurs l’un des animateurs du Cercle culturel et politique Ascaso Durruti – essentiellement une bibliothèque anarchiste, lieu de conférences, située rue Henri René, tout près de la gare Saint-Roch (Ascaso et Durruti furent des figures les plus emblématiques de la révolution libertaire espagnole, et du camp anarchiste dans la guerre civile antifasciste).

Patrick Fornos est médecin de ville (lire ici notre entretien dans Le Poing). Il est également écrivain : « Ce choix de m’y consacrer à mi-temps a constitué une forme d’engagement, une manière très personnelle de résister à la voie toute tracée du succès professionnel. Ecrire, c’est courir le risque de l’échec, c’est la patience de plusieurs années avant d’être un peu reconnu » raconte-t-il, lorsqu’on le rencontre à l’occasion de la parution récente de son dernier roman, L’eau des deux rivières – Àngel, aux éditions Balzac.

Situons d’abord les deux rivières dont il s’agit : deux cours d’eau qui se rencontrent à l’endroit où s’est élevée – dans le roman – la petite cité rurale, mais également industrielle, de Santa Coloma de Farners, en Catalogne espagnole. Leurs eaux convergentes nourrissent l’économie agricole d’une part, autant qu’elles seront bénéfiques à l’activité des manufactures textiles d’autre part, qui firent la prospérité de la riche province d’Espagne. De l’un à l’autre de ces activités humaines, une mutation sociale opère. Et le titre du roman vaut métaphore entre l’entretien du monde ancien, pétri de traditions et superstitions aux effets conservateurs, et le développement d’une modernité ouvrière, non moins sujette à oppression, mais ouverte au mouvement des idées. Dans l’unité de ce lieu, la transition temporelle, historique, s’incarne notamment dans le personnage du jeune Àngel, qui participe des deux milieux.

Parmi d’autres protagonistes de la vie locale, il est celui dont on suit le plus clairement et complètement l’éveil à une conscience libertaire révolutionnaire. Et c’est ce processus d’arrachement aux fatalités du destin de soumission et de misère, qui tend l’écriture de Patrick Fornos. L’ouvrage se conclut dans la ferveur du départ des combattants improvisés, par milliers, vers les fronts de la résistance au coup d’État franquiste (appelant vraisemblablement un second tome à cette histoire). Mais juste auparavant, sous la République en train de s’installer, l’apogée narrative se situe dans le soulèvement libertaire contre les patrons et leurs alliés (religieux tout particulièrement).

A l’usine d’Àngel, on laisse le choix au directeur de réaliser son absence totale d’utilité, et dès lors se mêler au collectif de production, au rang d’ouvrier parmi les autres. C’est radical. Mais c’est tellement simple à comprendre. Moins à réaliser en actes. Encore y fallait-il un immense souffle émancipateur, parvenu à un point de bascule révolutionnaire. D’où cela provient-il ? Ce processus complexe est l’objet du scrupuleux récit agencé telle une mosaïque par Patrick Fornos. Profondément camarade de ses personnages, il les accompagne avec une méticuleuse attention, de façon non linéaire mais en reliant et renouant avec les uns les autres.

 

D’une clarté lumineuse, l’écriture fait place à de riches moments tragiques (la catastrophe sur un site minier), épiques (manifestations, affrontements), noceurs (le sacrifice du cochon). Mais tout autant, le regard et l’écoute s’articulent sur les faits du quotidiens, les ébranlements amoureux, les méandres familiaux, les états de santé (notre auteur médecin perçoit les êtres en totalité). Là apparaissent les failles, se produisent les secousses, s’abandonnent les détresses, tout comme surgissent les éveils insurgés de consciences.

Patrick Fornos poursuit une certaine tradition de littérature populaire – par le dessin vif des personnages et situations du réel quotidien – mais cela par une écriture actuelle, sonnant très clair, dénuée de toute affèterie ou surcharge d’affect. On n’est pas dans l’imagerie. Sa considération fidèle est immense, pour ces gens de peu qui resteraient vaincus dans l’Histoire, mais après que celle-ci les aient soulevés jusqu’à des sommets lumineux d’héroïsme et d’utopie atteints.

Patrick FornosL’eau des deux rivières – Àngel – Roman. 266 pages. Balzac éditeur, août 2020. En librairies. 19€.

https://lepoing.net/un-romancier-montpellierain-remonte-aux-sources-de-lanarchisme-espagnol/

CE QUE VOUS AVEZ (peut-être) RATÉ

Et que nous avons raté aussi. L'activité du CAD a malheureusement  été elle aussi fortement impactée  par la Covid. Depuis l'enfermement collectif du mois de mars, le seul évènement qui a pu avoir lieu au 6, rue Henri René est la présentation du numéro 44 de la "Revue Réfraction". Avis de tempête, la fin des beaux jours ? Un titre  particulièrement de saison. D'une manière plus générale, en l'occurrence, c'est de la "collapsologie", le courant de pensée à la mode dans les milieux gauchistes et alternatifs (nous avons accueilli en janvier 2019 au CAD son théoricien actuel le plus zélé en la personne de Pablo Servigne), dont il était question. C'était le 15 octobre, 72 heures après l'annonce du couvre-feu. Daniela et Jean-Jacques étaient à la tribune. Sous les masques (anarchisme ne veut pas dire inconsidération) les mines n'étaient pas très joyeuses. Mais ce fut déjà une victoire que la soirée ait pu se dérouler comme prévu. Après l'exposé, les échanges ne manquèrent pas. Au-delà de l'incontestable constat de Pablo Servigne et de ses suiveurs sur la  mauvaise posture actuelle du monde, tout le monde n'est pas d'accord sur la façon de la comprendre, ni sur la manière de faire le fameux "pas de côté". Cela a été  stimulant et très productif de pouvoir en débattre.  

Comment mettre un frein salvateur à l'élan irraisonné du capitalisme ?

Et pour le reste ? Ben pour le reste c'est tout.  

 À l'occasion de la projection au Cinéma Diagonal du film Sur la brèche, qui retrace son parcours libertaire ô combien extraordinaire, nous devions accueillir le 21 mars Octavio Alberola. La flambée de la Covid a empêché l'évènement de se tenir. Pareil pour la "maudite", pourrait-on dire presque, conférence de Pièces et Main d'Œuvre sur la reproduction artificielle et les manipulations génétiques. Cette fois, après tous les autres ratés, c'est l'épidémie qui l'a fait capoter. Miguel Amoros, qui devait nous présenter son dernier livre sur la révolution espagnole de 1936, Les amis de Durruti, a dû lui aussi rester chez lui au début du mois d'avril. Et Maria Antonia Ferrer, Fernando Casal et Marc Tomsin, les auteurs de Sur les chemins d'Abel Paz, alors que l'on avait retrouvé un peu d'espoir de reprendre nos activités  normales à la rentrée, ont été finalement condamnés au même sort au mois d'octobre. Nous avons un riche programme pour cette fin d'année, mais à l'heure où nous finalisons ce numéro l'annonce d'un nouveau confinement national se prépare le plus probablement à tomber. C'est comme ça. La pandémie mondiale que les plus pessimistes d'entre nous (ou réalistes?) redoutait depuis tant d'années est bel et bien devenue réelle. Mais ce n'est pas pour autant que l'on va se priver de notre traditionnel final  humoristique avec Daniel Villanova.

LE FENESTROU DE L'ANARCO

M'AMUSE

Ah !  Ma pauvre dame, nous vivons une drôle d’époque ! Tout est tellement confus, les informations sont si contradictoires, les sournoises rumeurs frayent si souvent et si impudemment avec les fake-news les plus éhontées que je me surprends moi-même à ne plus oser mentir de crainte de dire la vérité.

Le "Monde d’après" ressemble à tel point à celui d’avant que sa seule contemplation désespère les plus optimistes, dont je suis. Et ça, comme disait ma tante qui n’avait pas ma langue dans sa poche, « ça te refout la raie du cul dans la bonne direction ».

Le lecteur voudra bien me pardonner cet écart de langage. Je ne fais que retranscrire ce que disait ma tante, qui,

après tout, l’art n’étant qu’une exagération, était une artiste à sa façon. Ayant été maoïste dans sa jeunesse, on la surnommait d’ailleurs La langue marche. Comme elle le disait elle-même avec le sens de l’à-propos qui la caractérisait ô combien : « Il n’y a pas de sobriquet, il n’y a que de sottes gens ».

Je ferme la parenthèse.

Toutefois, mes amis, je vous en conjure, quelle que soit la dureté des temps, ne sombrons pas dans la morosité. Tout a une fin, sauf la banane qui en a deux, mais c’est une exception. N’oublions jamais que selon Paul Valéry, qui n’était pas n’importe qui, puisqu’il était né à Sète et qu’il a survécu, « le caractère le plus frappant de notre étrange époque est l’imprévu imprévisible ».

La télévision vous annonce la fin du monde ? Éteignez-la, grands benêts !, et vivez paisiblement les 120 ans qui vous restent à vivre.

Plutôt que de rester devant votre écran à cultiver vos angoisses comme un jardinier ses plants de tomate, chaussez vos baskets et faites quinze fois le tour de votre lotissement à cloche-pied dans un sens, et quinze fois dans l’autre.

Mieux vaut suer que pleurer !

Certains voient des dangers et des menaces partout. Dites-vous bien que de tout temps, les gens ont cru voir des choses qui n’existaient pas. Jadis, on appelait cela « des visions », aujourd’hui cela a pour nom « télévision ».

Ne cédons ni à la panique ni au découragement. Rien n’est joué, mes ami . e . s, rien n’est jamais gagné d’avance, ni perdu. N’ayez donc pas peur de vivre.  De vivre avec intensité ! Voyez le cas de ces deux frères jumeaux, dont l’un, gros fumeur, buveur insatiable, Priape infatigable, fêtard invétéré, a vécu jusqu’à 85 ans, alors que son frère, qui ne buvait que du lait, est mort à l’âge de six mois. Quelle plus grande preuve que tout est relatif, que tout est dans tout et que rien n’est dans rien, et vice-versa.

Nous affirmons ici sans ambages et sans aller à la ligne que Jean Giono, ce provençal universel, avait bougrement raison lorsqu’il écrivait que « l’espérance et le bonheur sont des sécrétions personnelles sans aucun rapport avec le milieu ».

Ainsi, plutôt que d’attendre bêtement la 5G pour vous immerger corps et âme dans une abêtissante réalité virtuelle, plongez-vous plutôt dans la lecture. Selon les mots de ma tante, c’est un excellent laxatif, croyez-moi. Le meilleur qui soit à l’heure actuelle.

Jean Guéhenno, qui était à la littérature ce que les Scuds sont à la paix mondiale, ou plutôt ce que Belphégor était au Musée du Louvre, disait : « Il existe deux sortes de livres : ceux qui augmentent en nous la vie et l’humanité, et ceux qui les diminuent. ».

Dans le même esprit, permettez-moi de vous signaler les deux livres les plus importants à mon sens, dont je ne saurais trop vous recommander la lecture urgente. Le premier est la Bible, qui nous dit qu’il faut nous aimer, et le second le Kâma-Sûtra, qui nous explique comment le faire.

Et surtout, tenons-nous le plus éloignés possible des rabat-joie de tous bords, qui ne manqueront pas de trouver notre optimisme égocentrique, donc immoral. « Immoral », tel est le jugement du bœuf dans son étable sur l’agneau qui gambade. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Ambrose Bierce, que l’on ne peut pas accuser de complaisance à mon égard puisqu’il était déjà mort depuis bien longtemps ce jour de 1953 où, à la surprise générale, je lançai mon premier éclat de rire dans la salle d’accouchement de la clinique Moulines de Pézenas.

Ah, une dernière chose. On a posé récemment à l’un de mes voisins nonagénaires la question la plus stupide qu’il m’ait été donné d’entendre. Le gars lui a dit : « Bonjour, Monsieur Lafont ! Alors, toujours à la retraite ? ».

Ma tante aurait sans doute rétorqué au gars en question : « Va te faire brouter le gazon par un âne, abruti ! »

Voilà ce que m’a inspiré m’amuse. Passez un bon hiver, résistez au froid et à Macron et au prochain numéro !

 

Daniel Villanova 


 

www.daniel-villanova.com

Voilà, c'est tout pour cette fois. Si vous aimez nous lire, on vous rappelle que le CAD a aussi une existence physique. Dès que nous aurons retrouvé notre vie d'avant, n'hésitez pas à venir pousser la porte de notre bibliothèque et de vous mêler à nos évènements. 

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