ELECTIONS /: PROPOSITIONS POUR UN
DEBAT EN DEMOCRATIE DIRECTE.
Voilà que le séisme politique que l’électorat du pays a provoqué lors du
premier tour des élections présidentielles se propage par écho dans les milieux
libertaires. Des prises de position sont d’ores et déjà annoncées sur la
conduite à tenir lors des prochaines élections. Ces positions n’ont pas, à nos
yeux, le mérite de la clarté car, on s’en doute, elles reflétent la diversité
des individus mais ne relèvent pas d’une appréciation sereine et collective de
la situation. Pour tenter d’éviter le confusionisme et la cacophonie habituels
chez les libertaires lors des rendez-vous intempestifs de l’histoire, un débat
paraît nécessaire à condition qu’il soit clarificateur et se déroule en
démocratie directe.
Pour s’y préparer, nous proposons, en préalable à la discussion qui pourrait se
tenir lors du 1er mai par exemple, les éléments suivants selon un plan en 4
points principaux.
1- Préalables explicatifs sur les causes de la déroute de la gauche.
2- Analyse succinte des résultats et du phénomène de l’extrême-droite.
3- Y a– t- il un sens dans le vote abstentionniste et protestataire de ce 1er
tour ?
4- Au vu des considérations qui précèdent faut-il prendre la situation si au
tragique qu’elle justifie de voter pour Chirac au second tour ? … Puis pour la
gauche aux législatives ?
5- Les conditions du débat, élargi si possible à tous les libertaires et
sympathisants, votants ou non. Le pour et le contre. Les questions : faut-il
sauver la démocratiee parlementaire actuelle, ce qui éloigne par la nos espoirs
d’alternative ? Faut-il participer au sauvetage de la République si l’extrême
–droite la met en danger ? Comment ? Que peut-on faire sinon à titre
d’alternative à court terme au régime actuel ?
Constat : au vu des chiffres, c’est moins la poussée du vote F.N. qui frappe
que l’abstentionnisme de gauche, influant sur les résultats du P.S. et du P.C.,
conjugué à un certain glissement des suffrages vers des candidats
d’extrême-gauche. On retrouve à droite le même phénomène (abstentionnisme et
glissement) qui influe sur les résultats du président sortant.
Pour faire plus court tout en restant explicite, nous nous limiterons à
l’appréciation de successivement : les abstentionnistes, le F.N., la droite
présidentielle, la gauche de gouvernement.
a- Près de 12 millions d’électeurs, c’est le « parti » très largement en tête
devant tous les autres candidats, en croissance depuis 1988 et 95, 1er facteur
du manque des voix de Jospin ; remarquons que les bulletins blancs ou nuls
auraient suffi à le qualifier s’ils s’étaient porté sur lui.
Manifestement il s’agit d’un phénomène répétitif depuis 88 et 95 qui explicite
les alternances brutales de pouvoir, c’est dire aussi que les avertissements
des électeurs à leurs candidats respectifs n’ont pas manqué sans que ces
derniers en aient tenu compte. Un 2ème facteur important est l’effet
médiatique, les media avec leurs sondages complètement bidonnés pendant la
précampagne ont propagé l’impression que le 2ème tour était joué d’avance,
entre Chirac et Jospin. Le 3ème facteur est celui de la multiplicité des
candidatures laquelle, à droite comme à gauche, a contribué mécaniquement à un
attentisme de certains électeurs, laissant ainsi présager un passage difficile
pour le représentant du gouvernement sortant.
b- S’il y a une progression du F.N. elle se révèle faible : + 0.3% des inscrits
par rapport à l’année 95. Ce qui semble plus probant est la mobilisation de cet
électorat qui fait pendant avec l’abstentionnisme que nous venons d’évoquer.
C’est dire que ce genre d’électeurs s’est exprimé massivement au 1er tour,
pensant bien qu’il n’ait pas le loisir de le faire au second. Les autres
raisons invoquées communément sont la peur, le sentiment d’insécurité, le
mécontentement d’une part certes minoritaire mais importante de la population.
En effet, les causes n’ont pas manqué dans l’actualité récente (11 septembre
aux USA, conflit israélo-palestinien, guerre civile en Algérie, etc.) pour
alimenter cet état émotionnel de gens déshérités ou ayant le sentiment de
l’être ; de même, les habitants des quartiers populaires ou des banlieues ont
projeté leurs conflits de cohabitation avec leurs voisins étrangers ou
d’origine étrangère ou de religion différente. Là encore les media, en grossissant
les événements et en y revenant sans cesse, ont accentué ces comportements de
type irrationnel. Quoiqu’il en soit, on peut en déduire que ce vote d’une
minorité réduite aux aguets est l’arme des faibles ou celle de la lâcheté au
choix.
c- Le président sortant explique, à l’évidence, par sa seule personnalité et
son parcours récent parmi les embuches judiciaires qu’il a su éviter, la
faiblesse de son résultat. Á lui seul il est donc un facteur explicatif de la
baisse électorale de son camp, aggravée par la défiance non dissimulée des
autres composantes de la droite parlementaire. C’est pouquoi il ne profite même
pas de la sanction habituelle que les électeurs frustrés infligent à un
gouvernement sortant.
Toutefois son habileté tactique lui permet de passer de la posture d’accusé à
celle de défenseur de la démocratie et des valeurs républicaines, voire même de
chantre de l’anti-fascisme ce qui pourrait lui accorder un plébicite à la
Napoléon III.
Comme quoi l’habileté manœuvrière est un atout majeur quant au résultat du vote
(on pense à Miterrand beaucoup moins naïf que Jospin), ce qui en dit long sur
les ressorts profonds de la démocratie parlementaire à caractère majoritaire.
Le fait de porter l’accent sur l’insécurité, de connivence avec les intérêts
médiatiques la campagne manquant singulièrement d’attrait, a valu au président
sortant d’écarter son dauphin de la course au fauteuil présidentiel, car…
d- la gauche de gouvernement, les Verts mis à part, s’est laissé facilement
embarquer –ceci n’étant ni sans signification, ni innocent, sachant les mesures
prises par leurs députés et maires des grandes villes depuis quelques années-
dans le discours sécuritaire en oubliant allègrement et ses valeurs proclamées
et la mise en phase avec son propre électorat. Cette stratégie, qui perdure, de
vouloir gagner les élections au centre droit, voire à droite, de gouverner en
ménageant les grandes puissancezs d’argent n’a donné que des échecs. Il est
ainsi facile de voir que –dans les bastions historiques socialistes,
communistes, ouvriers- les abstentions ou le vote pour l’extrême-gauche
envoient un messsage fort ! L’autre erreur à ne pas commettre pour le parti
majoritaire de la colition de gauche est d’écarter orgueilleusement les
demandes de ses alliés : programme plus à gauche pour le P.C., désengagement
nucléaire pour les Verts, participation pour le PRG dt on aurait pu négocier le
désistement au 1er tour au lieu de ménager le M.D.C., etc. Enfin, la tactique
miterrandienne de favoriser l’émergence de l’extrême droite en 1984 pour
instiller le venin dans les rangs de la droite parlementaire, sachant la gauche
minoritaire, donc pour ne pas perdre le pouvoir, a fini par se retourner à ses
dépens.
Conclusion : toutes les considérations qui précèdent, assez communément
admises, suffisent à démontrer qu’il n’y a pas d’urgence extrême de pétainisme
politique en France, danger qui nécessiterait de la part des électeurs de
gauche, a fortiori des libertaires, un sacrifice de leurs convictions au point
de voter aveuglément et comme un seul homme pour le président Chirac, sauf à
mettre le vote électoral à la hauteur d’un devoir sacré.
Car, si l’on néglige l’attitude des électeurs de JM Le Pen pour les seuls
besoins de l’analyse, le sens de l’attitude abstentionniste et du vote
protestataire dans le camp progressiste paraît suffisamment clair pour qu’il
soit peu utile de l’expliquer plus largement. C’est un refus des tendances de
la social-démocratie, récurrentes pendant le XXe siècle, de son réformisme
politique et de sa réal politique quand elle accède au gouvernement. Nous
pourrions élargir la remarque à nos voisins immédiats Allemagne, Autriche,
Belgique, Italie…
Nous voici maintenant en mesure d’instaurer le débat interne entre libertaires.
Reste à ébaucher quelques conditions :
contrairement à la tradition anti-électoraliste des anarchistes, nous prenons
la situation suffisamment au sérieux (sans la prendre au tragique) pour essayer
de l’analyser en ne se fondant ni sur des principes a priori, ni sur des
impératifs catégoriques.
De même, nous ne faisons pas grief à certains d’entre nous d’exprimer leur
inquiétude dans leur intention de vote, sachant qu’ils le font sur une base
éthique, pour leurs valeurs.
Le pire serait de refuser ou de torpiller tout débat en prétextant de la nature
électorale, c’est-à-dire non révolutionnaire, c'est-à-dire impure par nature,
du probléme soulevé.
S’il est souhaitable d’arriver à une position commune raisonnée et claire des
milieux libertaires, la décision finale appartient en conscience à chacun
d’entre nous, cela ne souffant pas discussion.
Ceci posé essayons de poursuivre en pesant le pour et le contre :
Pour,
1- à court terme, barrer la route du pouvoir présidentiel à JM Le Pen ; barrer
la route des pouvoirs législatifs au F.N. ; provoquer un sursaut démocratique
chez les « gens de gauche » pour les conscientiser et les mobiliser contre la
menace fasciste.
2- à long terme, sauvegarder la démocratie, en évitant à la fois la dictature
possible d’un tribun populiste et les combats fraticides entre militants de
gauche et d’extrême gauche (id Allemagne des années 30.)
3- selon l’éthique ou une morale libertaire, si l’on ne peut considérer les
élections comme une liturgie sacrée, le vote relève alors de l’opportunité,
mais la fin ne justifie pas les moyens quand ces moyens sont immoraux ; les
organisations anarchistes ont refusé de voter en démocratie représentative,
précisément pour remettre en cause cette représentation instauranbt de fait un
système de domination par une élite politique.
Contre,
1- à court terme, il n’y a aucune chance sérieuse sauf dans les fantasmes que
JM Le Pen soit vaiqueur au 2ème tour, son influence en voix étant quasiment la
même qu’en 95, laquelle n’a pas donné lieu à un raz-de-marée aux législatives ;
ce n’est pas parce que certains individus libertaires annoncent qu’ils vont
voter malgré leurs convictions et leurs doutes que cela aura une influence sur
le sursaut démocratique, lequel ne dépend pas selon nous de prises de positions
individuelles ;
il serait plutôt à croire qu’elles permettent aux individus concernés de se
donner bonne conscience, de se dédouaner d’un vague sentiment de culpabilité,
voire d’échapper par cet acte à la peur du danger (on sait depuis Laborit que
l’inhibition de l’action apporte de l’angoisse.)
2- à long terme, nous ne sommes aucunement dans la situation des années 30
puisque au contraire les divers courants de gauche ne sont pas ennemis mais
seulement concurrents, l’extrême-gauche ne s’est pas livrée à des batailles
rangées avec les sociaux démocrates ; par ailleurs nous ne sommes ni dans la
même situation de misère et d’inflation galopante, etc.
3- selon l’éthique, en tant qu’opposants de longue date à la démocratie
représentative qu’avons-nous à gagner à jouer les pompiers de service pour sa
sauvegarde ? De plus nous n’avons même pas de questions à nous poser sur des
moyens immoraux que nous aurions employés ou pas pour le sabordage de cette
démocratie, car c’est d’elle-même qu’elle se pourrit. Si son représentant
ultime n’est qu’un pantin blanchi sous le harnais depuis au moins 40 ans de
services mauvais et déloyaux, accusé de détournement d’argent public voire de
délits beaucoup plus graves, accusations auxquelles il a échappé grâce à sa
fonction, alors qu’est-ce cette démocratie qu’il faudrait défendre à ce prix?
Si ce système de domination politique doit être radicalement remis en cause, il
ne faudrait pas oublier qu’un système de substitution basé sur les producteurs
en association libre a été imaginé par nos penseurs du XIXe siècle…
Conclusion : pour ce qu’il en est de nous, nous trancherons dans le sens
suivant :
Ce n’est pas en votant pour Chirac, pas plus qu’aux législatives, que nous
donnerons pour autant un coup d’arrêt à l’extrême droite, car s’il est certain
que sa montée électorale est un danger majeur qui ne date pas d’hier (1984
d’Orwell serait-il prémonitoire), certaine proposition, modeste mais
appropriée, d’alliance locale des libertaires contre les dangers de
l’extrême-droite n’a pas été prise en compte en son temps, pourquoi ?
En cette année 2002, les élections ne dureront que quelques mois, et après ?…
La menace date de 15 ans et n’est pas circonscrite au territoire français, que
pouvons-nous lui opposer ?
Si les actions, notamment celles de soutien et de « défense des droits des sans
», ainsi que celles de contestation de la mondialisation, ont apporté de bonnes
réponses, les actions terroristes des fondamentalistes musulmans (autre type
d’extrême-droite) en ont annulé les empreintes dans la mémoire collective d’une
part importyante de la population.
Si dans le domaine des idées quelques revues continuent à propager les
principes libertaires, certaines se sont complu dans l’expression brillante
d’individualités ou dans un langage hermétique pas souvent en rapport avec les
réalités majeures que nous venons d’évoquer. Il y aurait probablement un
travail urgent de réflexion -à faire en commun puisque les animateurs de ces
revues en Espagne, France, Italie, se connaissent bien- portant sur le danger
de fascisation des esprits et une alternative libertaire rapide à cela.
Reste encore la question de la reconcentration des noyaux libertaires, trop
dispersés et trop faibles pour prétendre influer sur les événements présents.
Si la CNTF, se disant anarcho-syndicaliste, paraît en croisssance modeste mais
continue depuis décembre 95, elle ne paraît pas en mesure de peser sur la donne
économique et sociale, donc de relever les enjeux des temps présents. Encore
faudrait-il qu’elle profite du regain actuel sans trop mettre en avant la
pureté du dogme et en abandonnant tout sectarisme d’organisation.
La proposition d’unification du mouvement libertaire, du 22 mars 2000, qui
partait de bonnes intentions, n’a pas donné de résultats convaincants jusqu’à
présent, souçonnée dès son lancement initial d’être accompagnée
d’arrière-pensées. Par contre, des états généraux, s’ils se donnent un
programme en rapport avec la situation sociale, peuvent non seulement agréger
autour d’eux une grande majorité de libertaires, mais aussi nombre de militants
en attente d’une solution de sortie alternative au régime actuel.
Nous avons voulu verser ces pièces au dossier sans prétendre imposer nos vues
mais avec l’ardente espérance que le débat sera créateur d’un moment productif
pour nos actes, nos pensées et notre désir de sortir de l’ombre pour nous faire
enfin connaitre de nos contemporains. Á vous de jouer !
Gem. 27/04/2002.